Des tests peu fiables pour dépister la dépression
Amélie Daoust-Boisvert
Le Devoir
19 août 2011 Santé
«La majorité des gens qui prennent des antidépresseurs ne souffrent pas de dépression... C'est un réel problème!»
«Au cours des deux dernières semaines, vous êtes-vous senti déprimé ou désespéré?» Répondez oui et obtenez une prescription d'antidépresseurs. Brett Thombs, chercheur à l'Institut Lady Davis de recherches médicales de l'Université McGill, critique sévèrement ce type de questionnaire pour le dépistage de la dépression dans un article publié aujourd'hui dans le British Medical Journal.
Après avoir passé en revue la manière dont ces tests ont été élaborés et mis à l'épreuve à l'origine, il en vient à la conclusion que les études ont surestimé leur capacité à dépister la maladie. Il va jusqu'à dire que «moins d'un patient sur six qui obtient un résultat positif aux questionnaires standards est susceptible d'être atteint de dépression».
«Ma recherche ne révèle pas que nous surdiagnostiquons la dépression en tant que telle, mais que si nous utilisons les questionnaires de dépistage, nous allons identifier des tas de gens qui ne sont pas vraiment malades, explique-t-il au Devoir. D'autres recherches récentes soulignent que la majorité des gens qui prennent des antidépresseurs ne souffrent pas de dépression... C'est un réel problème!»
Entre 2005 et 2009, l'usage d'antidépresseurs a augmenté de 8,3 % chez les adultes couverts par le régime public d'assurance médicament, soulignait le Conseil du médicament dans un rapport paru en janvier 2011.
Failles méthodologiques
Les tests de dépistage de la dépression peuvent comporter aussi peu que deux questions, telle «au cours des deux dernières semaines, avez-vous ressenti peu d'intérêt ou d'agrément à accomplir vos activités?» Ils peuvent également vous interroger sur votre sommeil, votre appétit ou vos idées noires. Le problème? Ceux qui ont imaginé ces tests les ont mis à l'épreuve en les administrant... à des personnes déjà traitées pour la dépression.
Pour Brett Thombs, c'est comme évaluer une méthode détection du cancer chez des patients qu'on sait déjà atteints. «Ça n'a pas de sens! C'est comme prévoir la météo d'hier», dit-il. Moins de 5 % des études portant sur l'efficacité de ces outils de diagnostic auraient été menées adéquatement.
«Les chercheurs [à l'origine de ces tests] les donnent ensuite aux médecins, qui les utilisent en les croyant fiables. Mais ils ne le sont pas», juge le chercheur formé en psychologie. Et selon lui, par confiance ainsi que par manque de temps pour pousser plus loin, les médecins prescrivent rapidement des antidépresseurs quand un patient obtient un résultat positif. Il rappelle qu'«on peut être triste sans souffrir d'un trouble psychiatrique».
Pour lui, les questionnaires évacuent la relation interpersonnelle du processus de diagnostic. Il doute que leur utilisation permette de réellement aider les gens qui en auraient besoin. Dressant un parallèle avec le cancer, il souligne qu'après un test de dépistage général — comme un PAP test positif après un examen gynécologique —, il importe de mener une biopsie pour écarter les faux positifs. La même rigueur devrait être appliquée au diagnostic de la dépression. Le problème est flagrant puisque «près de 7, 8, voire 9 % des gens prennent des antidépresseurs, et le taux réel de dépression est de 4 %», souligne-t-il. Chez des personnes traitées pour des maladies chroniques, comme les maladies du coeur, l'utilisation d'antidépresseurs peut grimper à 15 ou 20 %, dit M. Thombs, «ce qui est bien supérieur au taux réel de dépression».
L'administration de ce genre de questionnaire à des populations «à risque» gagne en popularité: malades chroniques, cancéreux, jeunes mamans au sortir de la maternité... et ils pourraient échouer à rencontrer leur objectif, soit aider des gens réellement atteints de dépression, conclut le chercheur.
Des outils imparfaits
Ces résultats ne surprennent pas le Dr François Borgeat, psychiatre au programme des troubles anxieux et de l'humeur de l'hôpital Louis-H. Lafontaine. «Ces outils sont loin d'être parfaits, dit-il. Quand on regarde ces questionnaires, on se rend compte de leurs limites. Mais quelle serait l'alternative idéale? On aimerait avoir une prise de sang pour détecter la dépression. Malheureusement, ça n'existe pas.»
Selon lui, il faut pousser plus loin la réflexion à savoir si les patients qui se plaignent d'épisodes dépressifs sont traités adéquatement. «Il y a à la fois du surtraitement et du sous-traitement en matière de dépression», souligne-t-il, puisque pendant que certains reçoivent des antidépresseurs peu efficaces pour leur condition, d'autres individus non détectés pourraient, eux, en bénéficier. La médication s'avère notamment moins utile dans le cas de dépression légère.
Quant au fait que cinq personnes sur six obtenant un résultat positif à ces questionnaires ne seraient pas réellement déprimées, il apporte un bémol. «La dépression est une expérience subjective. Si un patient dit se sentir déprimé, il faut le prendre au sérieux, même s'il ne présente pas de maladie au sens clinique.»