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La pharmacie sous la loupe

Des médicaments à prendre avec des pincettes

10 février 2014 |Isabelle Paré | Santé | Le Devoir

Bien qu’il faille souvent avaler la pilule, celle-ci n’est pas toujours dorée, nous rappelle la récente recension dressée par l’Association Mieux Prescrire, ou Prescrire, une revue médicale française qui vient de placer sur sa liste noire 68 médicaments jugés « plus dangereux qu’utiles ».

Le bilan de la revue médicale indépendante se base sur quatre années d’analyses effectuées par un réseau de spécialistes ne touchant aucun financement de l’industrie pharmaceutique ou de l’État.

Le groupe d’études s’avère particulièrement critique envers certaines molécules utilisées pour soigner la dépression, ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer et prévenir les maladies cardiaques. Seule bonne nouvelle : la moitié des « indésirables » montrés du doigt par Prescrire ne sont pas commercialisés ici au Canada et d’autres sont très peu utilisés dans l’arsenal thérapeutique.

L’organisme place notamment sur la liste des mauvais élèves plusieurs nouveaux antidépresseurs, « qui exposent à des risques graves sans avoir une meilleure efficacité que les autres médicaments de la dépression ». Parmi ces mal cotés : le Cymbalta et l’Effexor, qui exposeraient à des troubles cardiaques indus, et d’autres psychotropes comme le Zyban et le Champix, utilisés pour le sevrage tabagique. Ces dernières molécules ont été reliées chez des patients à l’apparition de troubles psychiques graves, allant d’idées suicidaires à la dépression. Autant de risques qui font dire à Prescrire que les inconvénients dépassent de loin les bénéfices.

Ces experts sonnent l’alarme à l’égard de plusieurs décongestionnants absorbés par voies orale et nasale en vente libre, commercialisés ici notamment sous le nom de Dristan ou Otrivin, qui « exposent à des risques disproportionnés pour des médicaments destinés à soulager des troubles bénins ». Idem pour le dompéridone (Motilium), un neuroleptique utilisé pour les reflux gastriques, reliés à des morts subites et à des troubles cardiaques graves.

Plusieurs hypocholestérolémiants, jugés « sans efficacité réelle » pour prévenir la maladie cardiovasculaire, n’obtiennent pas le feu vert du groupe d’experts, sauf le gemfibrozil, mis en marché au Canada sous le nom de Lopid. Carton rouge aussi pour le Celebrex, un anti-inflammatoire de la classe des coxibs dont l’usage peut entraîner un risque accru de thromboses et d’infarctus, auquel il faudrait préférer les anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme le paracétamol (ou acétaminophène, Tylenol) et l’ibuprofène (Advil). Enfin, la dernière flèche va à l’Aricept, une molécule destinée à ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, « dont l’efficacité minime et transitoire » devrait inciter les patients à la prudence, compte tenu des risques « graves » associés à ce produit, dont les syncopes, les vomissements sévères et les troubles neuropsychiques, tranche le groupe de chercheurs.

À la suite du bilan dressé par Prescrire en 2013, neuf médicaments ont été retirés du marché européen par les agences sanitaires ou les compagnies pharmaceutiques. « Même les patients en impasse thérapeutique ne doivent pas être des cobayes », maintient l’organisme.

Bien évaluer les risques

Au Canada, on tient un discours beaucoup plus modéré. « C’est vrai qu’il faut améliorer l’usage des médicaments, mais je ne partage pas le verdict de ce groupe qui est de retirer ces médicaments du marché. C’est assez radical. J’ai des patients qui ont gagné six mois de lucidité grâce à l’Aricept. Je pense qu’il faut garder le plus d’options possible, car tous les patients ne répondent pas de la même façon aux médicaments », estime Olivier Bernard, pharmacien et auteur du blogue Le Pharmachien.

L’Ordre des pharmaciens du Québec accueille par contre plutôt favorablement l’exercice mené par Prescrire. « C’est très positif, car il faut continuer à se questionner sur les médicaments, même après leur mise en marché, car l’exposition à des populations réelles constitue souvent les meilleurs tests », avance Diane Lamarre, présidente de cet ordre professionnel. Cette dernière partage tout à fait les conclusions du groupe de recherche pour ce qui est des décongestionnants, mais exprime des réserves par rapport aux bémols soulevés à l’égard des antidépresseurs et de l’Aricept. « Dans la dépression, on a avantage à avoir un arsenal varié étant donné la grande diversité des réponses aux médicaments. Pour la maladie d’Alzheimer, il y a au Canada des paramètres à suivre, dit-elle, notamment une évaluation médicale tous les six mois, puis tous les ans, pour que le médicament soit remboursé par l’État. » De façon générale, la surveillance post-commercialisation devrait être renforcée, pense la représentante des pharmaciens. « Je conseille aux gens d’être prudents face à tout nouveau médicament, car on n’a pas le recul de l’expérience clinique », affirme Mme Lamarre.